08 août 2007

Lubumbashi : Interview du député national (élu de L'shi) PDSC Alexis Takizala à CongoForum !

Source :Geert Stienissen (de CongoForum.be) directement !
Date de survenance : 08 (?) août 2007
Date de première publication sur Internet : 08 août 2007

Texte intégral :
Interview avec le député Alexis Takizala:
« L’un des plus grands défis sera la gestion du temps »
(CongoForum)

« Cela va peut-être étonner, mais je crois que l’un des plus grands défis sera la gestion du temps, devant l’immensité de la tâche à accomplir » nous dit le député Alexis Takizala (PDSC)
("biographie express" en toute fin de l'article, note du collecteur).

Ce professeur d’université parle avec CongoForum des élections (« Je serais bien ingrat si j’omettais de dire que c’est, tout compte fait, mes colistiers qui ont fait que je sois aujourd’hui à l’Assemblée Nationale »), de son action politique
Entendons-nous bien, le but de ma question orale, le 13 avril, n’était nullement le limogeage de quelque ADG que ce soit»), de la justice (« La première chose à dire à ce sujet, c’est que, dans le contexte constitutionnel actuel, le Ministre de Justice n’a pas grand pouvoir sur les juges ») et de son fils (« Diego nourrit un très grand amour envers ce pays »).

PDSC et les élections

CongoForum:
Vous aviez la tâche difficile de battre campagne avec un budget limité.
Malgré la distribution des biens, un bon nombre de candidats fortunés ont échoué.
Quel est votre secret?


Alexis Takizala :
Je ne sais pas si l’on peut vraiment parler de secret.
Cela fait plus de 30 ans, 33 pour être exact, que je vis à Lubumbashi.
J’évolue dans des milieux où je suis plus ou moins connu.

Pendant plus de 16 ans, je me suis battu avec d’autres pour implanter le PDSC, Parti Démocrate et Social Chrétien, au Katanga ; ceci au prix d’énormes efforts et de sacrifices incommensurables.

Pendant longtemps, nous avons véhiculé le message du PDSC.
Tout ce travail en amont aura été pour beaucoup dans ce qui est arrivé le 30 juillet 2006.

La campagne électorale aura été particulièrement rude, face aux sommes colossales engagées par les uns et les autres, et compte tenu des moyens financiers notamment qui m’ont cruellement fait défaut.

Le combat était tout à fait inégal, en raison des nombreuses failles de la loi électorale, notamment en matière de financement de l’opération par les différents candidats.
Mais juillet 2006 ne devait être, finalement, que l’aboutissement du travail accompli antérieurement.

Il y a aussi, bien évidemment, l’abnégation et la détermination de mon équipe technique qui n’a ménagé aucun effort pour faire le marketing du candidat que j’étais.

Je serais bien ingrat si j’omettais de dire que c’est, tout compte fait, mes colistiers qui ont fait que je sois aujourd’hui à l’Assemblée Nationale.

C’est ensemble en effet que, le mode de scrutin aidant (la proportionnelle avec plus fort reste), nous avons pu arraché 1 siège pour le PDSC.

Comme vous pouvez le constater, ce n’est pas, à proprement parler d’un secret qu’il est question mais plutôt d’un effort concerté et d’un travail de très longue haleine.

CongoForum :
Votre parti le PDSC n’a que remporté 2 sièges à l’assemblée nationale.
Un handicap?

Alexis Takizala :
C’est une gêne, oui.
Mais il ne faut voir en cela aucun obstacle insurmontable.

Le poids politique du PDSC n’a pas été reflété par les urnes.
Ce n’était qu’une question de moyens, financiers et matériels, essentiellement :
le PDSC s’est trouvé fort démuni quand les partis concurrents brassaient d’immenses fortunes venues de Dieu seul sait où.

Au lieu de nous décourager, le résultat fort maigre de juillet 2006 doit plutôt nous amener à nous remettre en question.
Les moyens humains ne nous manquent pas.
Au lieu de nous lamenter sur ce qui arrivé, nous devons nous tourner résolument vers l’avenir, tout en ayant l’œil sur ce passé récent, qui a été si riche en enseignements.

CongoForum :
La démocratie chrétienne reste une force fortement divisée au pays de Patrice Lumumba.

La Convention des Démocrates Chrétiens (10 sièges),
Démocratie Chrétienne Fédéraliste-Convention des Fédéralistes pour la Démocratie (8),
Alliance Congolaise des Démocrates Chrétiens (8),
Union nationale des Démocrates Chrétiens (2),
Démocratie Chrétienne (1)
et Rassemblement des Chrétiens pour le Congo (1)
sont également représentés au parlement.

Certains font partis de l’opposition, d’autres de la majorité présidentielle.
Comment pouvez-vous définir et interpréter la démocratie chrétienne dans le contexte congolais?


Alexis Takizala :
Les Africains sont des peuples croyants.
Le Congo en particulier est peuplé d’hommes et de femmes qui croient en un Etre supérieur.
Le pourcentage de chrétiens, croit-on savoir est d’au moins 50.

Dans un tel contexte socioculturel, qui veut faire la politique et conquérir le pouvoir a vite fait de baptiser son parti de chrétien.
Question d’attirer le plus de membres possible.
Les partis dits chrétiens n’ont pas tous le même idéal.
Ni le même projet de société, pour ceux qui prétendent en avoir un.

Difficile, dans ces conditions, de définir et interpréter la démocratie chrétienne dans le contexte congolais.
Je ne puis alors parler que de ce que j’ai appris au PDSC.

Feu Joseph Ileo nous a mis en garde:
"Nul ne peut prendre le parti en otage".
Au PDSC il n’y a point de président fondateur, tout passe par le débat démocratique.
Du reste, toute adhésion se fait à la base, au niveau de la Fédération, c’est-à-dire, en province.
Au PDSC le pouvoir n’est pas et ne peut être une fin en soi.
Le pouvoir est avant tout service.
Toute action politique ne peut être entreprise qu’au profit des populations congolaises.

Tel est l’enseignement que j’ai reçu du PDSC et c’est tout ce que je peux donner comme réponse à la question posée.

CongoForum:
Dans beaucoup de pays, au Nord comme au Sud, où existaient des formations parfois puissantes se réclamant du christianisme, on constate une tendance très caractérisée à abandonner cette étiquette "confessionnelle".
Exemple, en Belgique, le PSC (Parti Social-Chrétien, note du collecteur) devenu CDH (Centre Démocrate Humaniste, note du collecteur).

D'autre part, au Congo, l’appellation de "chrétienne" peut être revendiquée par de multiples églises.
Cela a-t-il un sens, dans ce double contexte, de se présenter comme " chrétien démocrate" ?


Alexis Takizala :
Tout dépend de la conviction de tout un chacun, de sa culture aussi.
Il est des partis qui s’affublent de l’étiquette chrétien par opportunisme politique.
Tout comme il en est qui en change pour des raisons identiques.

Je m’interdis de porter un jugement de valeur là-dessus.
En politique le calcul est roi, les convictions ont peu de place.

C’est ce qui est bien dommage.
Cela dit, que tel parti de tel pays choisisse de s’appeler comme ceci ou comme cela ne doit pas amener tel parti de tel autre pays de faire de même.
Les affinités qui peuvent légitimement exister entre eux ne doivent mener au mimétisme.

CongoForum :
Votre parti est crée en 1990 par 2 fils de Bandundu, les anciens premiers ministres Joseph Ileo et André Bo-Boliko Lokonga.

Jusqu’aujourd’hui, les protagonistes du PDSC sont originaires de cette province.
Au Congo les facteurs culturels (ethnicité) et géographique (localité) ont presque toujours déterminé la mise en œuvre d’un projet politique.
Quelle est votre opinion sur ce sujet?


Alexis Takizala :
Si dans l’ensemble cette affirmation peut se vérifier, si ethnicité et géopolitique ont souvent pesé dans les choix et les prises de décisions politiques – ce que personnellement j’ai toujours déploré – je me crois en devoir de dire tout de même que le congolais peut surprendre.

Ce n’est pas moi qui vous dirai qu’au dernier scrutin des congolais ont été élus compte non tenu de leurs origines culturelles ou géographiques.

Quant à savoir si Joseph Ileo a dirigé le PDSC, et André Bo-Boliko Lokonga après lui, en tant qu’ils provenaient du Bandundu, j’ose affirme avec force qu’il n’en est rien du tout.
Ce qui a milité en leur faveur c’était seulement leur envergure politique.

Il n’est pas inutile de souligner que, statutairement, le Comité Directeur du PDSC comporte 11 membres, à raison d’un membre par province ; équilibre géopolitique sans doute, mais pas l’ethnicité.

De l’action politique

CongoForum :
D’où avez vous hérité le microbe politique?

Alexis Takizala:
J’ai longtemps eu peur de m’engager en politique.
A cause du danger qu’elle représentait à l’époque.
Mais les circonstances ont fini par m’y décider.

Je suis entré en politique en somme par hasard, en réaction à une situation de pleine injustice que je voyais s’enfler au cours des années.
Je préfère rester vague là-dessus et ne pas entrer dans le menu détail, mais il est indéniable que nous avons connu au Congo un sort qu’aucun autre pays ne pouvait nous envier.

Et j’étais persuadé que nous autres congolais n’étions pas condamnés à vivre la vie qui était la nôtre.
Lorsque est venue l’époque où l’opinion politique pouvait enfin être largement partagée, notamment avec la naissance du PDSC, j’ai décidé de saisir la balle au bond et je me suis engagé durablement.

Les encouragements de personnes proches, parents et amis, m’y ont également fort bien aidé.

CongoForum :
Vos premiers pas à l’assemblée nationale ne sont pas passés inaperçus.

Au lendemain de votre demande orale au parlement au sujet de la pénurie d’eau courante et d’électricité que connaît la République Démocratique du Congo depuis longtemps, les ADG de la Régie de Distribution d’Eau (Régideso) et de la Société nationale d'électricité (Snel) ont été relevés de leurs fonctions et remplacés.
"Mission accomplished" ?


Alexis Takizala :
Entendons-nous bien.

Le but de ma question orale, le 13 avril, n’était nullement le limogeage de quelque ADG que ce soit.
J’ai été moi-même très surpris de voir les événements prendre une tournure aussi inattendue.

L’objectif visé n’étant pas celui-là, je ne peux donc pas jubiler et dire « mission accomplie ».
Mon souci, comme celui des tous les Congolais, était de voir les responsables de la Régideso et de la Snel mettre un terme au calvaire de nous leurs concitoyens.

Comment expliquer le paradoxe de ce pays immense, au bassin hydrographique gigantesque et au plus grand barrage d’Afrique, qui pourtant souffre d’un manque récurrent d’eau au robinet et de courant électrique au foyer comme à l’usine?

Voilà la question à laquelle je voulais entendre les 2 ADG répondre.
J’aurais aimé que leur gestion calamiteuse fasse l’objet d’un audit.

Malheureusement, le gouvernement est allé trop vite en besogne.
Et dans l’ensemble, les choses n’ont pas vraiment changé.

Je ne peux donc pas dire « mission accomplie ».
Au contraire : "la luta continua"!

CongoForum :
La Régideso et la Snel sont souvent victime de vol de leurs installations.

Au Katanga et Sud-Kivu, ces vols ont poussé les gouverneurs de suspendre la transaction des mitrailles.
Est-ce une mesure apte?


Alexis Takizala :
C’est une mesure palliative, c’est bien loin d’être une solution durable.
En somme la question doit être appréhendée dans sa globalité.

L’on doit se poser la question de savoir pourquoi ces vols.
Pourquoi au Katanga, la population persiste-t-elle à abattre les pylônes électriques?
Est-ce par cupidité?
Est-ce à cause du chômage?
Est-ce parce que les gens n’ont pas de courant électrique chez eux et ne voient, dès lors, pas l’utilité de ces installations?

Il faudrait s’interroger sur la société congolaise environnante dans sa globalité.
Je ne crois pas être en mesure de le faire ici.

CongoForum :
L’affaire du retour du sénateur Jean-Pierre Bemba Gombo au République Démocratique du Congo n’a connu aucune avancée significative jusqu’à l’expiration, le mardi 31 juillet 2007, de l’autorisation lui accordée par le Sénat.
Le vrai débat politique est-il possible en absence du chef de l’opposition parlementaire?


Alexis Takizala :
La loi sur le statut de l’opposition a été votée par les 2 Chambres du Parlement.
Elle doit encore être promulguée par le Président de la République.
Elle le sera à coup sûr.
Ce me semble être une garantie nécessaire pour que l’opposition puisse s’exprimer librement au Congo.
Autre chose est de savoir si c’est là une condition suffisante.

Et c’est probablement la question que Jean Pierre Bemba se pose au Portugal où il se trouve.
Ici le problème paraît prendre une tournure plus individuelle .
Pourquoi Jean Pierre Bemba hésite-t-il à revenir au pays?
Qu’est-ce que Joseph Kabila doit lui donner comme assurance supplémentaire pour cela?

Je trouve regrettable qu’une question d’aussi haute portée nationale que celle de l’opposition politique doive dépendre des individus.
Bien sûr, une opinion politique, l’opposition en l’occurrence, a besoin d’un leader pour la véhiculer.
Mais dans le cas d’espèce, si le leader désigné ne sent pas suffisamment en sécurité pour regagner le pays, ne devrait-il pas envisager de passer la main à quelqu’un d’autre ?

Il faut bien que les individus cèdent les pas aux institutions et ne les prennent pas en otage.

CongoForum :
Quels sont pour vous les grands défis de cette législature?


Alexis Takizala :
Cela va peut-être étonner, mais je crois que l’un des plus grands défis sera la gestion du temps, devant l’immensité de la tâche à accomplir.

Une année vient de s’écouler et bien de lois, des lois organiques même, doivent encore être élaborées.
Les vacances parlementaires sont intervenues sans que la loi sur la décentralisation, par exemple, n’ait pu être examinée.

Quantitativement - on ne doit pas se voiler la face -, le bilan aura été fort maigre. L’Assemblée Nationale devra apprendre à mieux gérer son temps.

Un autre grand défi sera celui du contrôle parlementaire.
Le ton a déjà été donné, Dieu merci.
Mais l’essentiel sera d’assurer le suivi là où il y a déjà un début d’impulsion et d’initier des actions dans les domaines qui méritent toujours l’attention des représentants du peuple.

Un troisième défi sera celui d’amener les élus à rendre compte à ceux qui leur ont donné leur suffrage.

Le peuple congolais attend beaucoup de ses élus.

CongoForum :
Avocat au barreau de Lubumbashi, vous étiez un témoin privilégié d'un appareil judiciaire en crise?
Quelles sont vos recommandations au Ministre de la Justice?


Alexis Takizala :
La première chose à dire à ce sujet, c’est que, dans le contexte constitutionnel actuel, le Ministre de Justice n’a pas grand pouvoir sur les juges.
La constitution du 18 février 2006 consacre l’indépendance de la magistrature.

Vous avez suivi le bras de fer qui a failli s’engager entre l’Assemblée Nationale et la Cour Suprême de Justice.
Vous savez quelle issue le dossier a finalement connue.
Il est donc difficile de faire une recommandation quelconque au Ministre de la Justice.

Néanmoins, 2 remèdes au moins me paraissent s’imposer en vue de contribuer à une meilleure administration de la justice dans mon pays :
- premièrement, les magistrats doivent être mieux rémunérés
- et deuxièmement ils doivent faire l’objet d’une surveillance hiérarchique plus serrée et plus constante.

La loi prévoit, lorsqu’une cause est prise en délibéré, 8 jours au pénal, 30 au civil, pour que le juge rende sa décision.
Curieusement, il est né une coutume dans nos cours et tribunaux qui viole systématiquement ces dispositions légales.
De sortent que bien de juges mettent des mois avant de prononcer.
Avec une certaine surveillance hiérarchique, les délais légaux pourraient être respectés à nouveau.

Je parle bien évidemment au conditionnel, car qu’il est difficile de redresser un arbre tordu.
Mais ce serait un début de solution.

CongoForum :
Votre fils Diego a créé le "Congolese Development Fund", un fond de développement communautaire qui encourage les initiatives de développement entreprises au sein de la communauté congolaise au Congo et à travers le monde.

Vos autres enfants combattent-ils aussi pour le développement durable au Congo ?


Alexis Takizala :
Mon fils Diego nourrit un très grand amour envers ce pays qui ne l’a sans doute pas vu naître mais qui, en tout cas, l’a vu grandir.

Il est parti le cœur bien gros, à une époque où tout a commencé s’effondrer autour de nous : pillages, massacres, etc.
Je crois que ce drame ne l’a jamais quitté et ne le quittera jamais.

Voilà pourquoi il se démène et veut que les congolais se liguent pour sortir leur pays de l’impasse actuel.
Ses sœurs aiment certainement tout autant leur pays, mais elles l’expriment de façon différente, chacune selon sa profession.

CongoForum :
Je vous remercie de nous parler ouvertement de votre ouvrage politique.


Alexis Takizala :
Merci pour l’invitation.

* * * * * * * * * * * * * *
Biographie express :

Alexis Takizala Mososo est né le 23 février 1944 à Djuma dans le Bandundu.
Il obtient une licence en Philologie Romane (Lovanium) et une maîtrise et un doctorat en linguistique à l’University of California, à San Diego aux Etats Unis.

Il rentre avec sa famille au Congo en 1974.
Il s'installe à Lubumbashi où il est, depuis, Professeur Emérite à l'Université de Lubumbashi (UNILU) dans la Faculté des Lettres et Sciences Humaines.
Il obtient entretemps, de cette même institution, une licence en droit et devient avocat près la Cour d'Appel de Lubumbashi.

Le professeur est membre du Parti Démocrate et Social Chrétien (PDSC) depuis sa création en 1990.
Alexis Takizala Mososo a été élu député national lors des dernières législatives libres et démocratiques dans la circonscription de Lubumbashi, province du Katanga.

© CongoForum – Geert Stienissen, 08.08.07

Lien vers le texte original, intégral

Aucun commentaire:

 
Clicky Web Analytics